Poussés vers la qualité : une vision positive du vieillissement
Certains affirment que la vieillesse est un naufrage, mais nous proposons de voir la diminution de nos facultés comme un guide vers un fonctionnement plus fin et plus juste.
Comme d’autres, à bientôt 47 ans je vis cette désagréable sensation que mes livres sont désormais trop proches de mes yeux, les affres de la presbytie me tournent autour. Je compte écrire très bientôt un article sur le sujet de la vue, car il y a beaucoup plus à dire que « vos yeux sont déformés ou raides ». Dans l’immédiat, j’aimerais aller à contre-courant sur le thème du vieillissement et en souligner un aspect très positif : notre organisme nous pousse vers une plus grande justesse de mouvement.
Les arts martiaux japonais fournissent de très bons exemples dans ce domaine : dans toutes les actions, de nombreux Japonais aiment améliorer tous les jours un peu leur façon de faire, ce qui a conduit — au fil des générations — à des niveaux de finesse et d’efficacité incroyables. Prenons l’exemple du Kendo, l’escrime japonaise : l’enfant apprend les bases, l’adolescent et le jeune adulte augmente ses qualités techniques autant qu’athlétiques et que se passe-t-il quand l’âge vient ? Les qualités athlétiques pâlissent progressivement et le pratiquant n’a plus le choix : s’il veut que son niveau continue de croître, il lui faut faire grandir sa finesse car sa force s’évanouit. La bonne nouvelle est qu’un pratiquant de 80 ans peut tout à fait être un magicien du shinaï (cette sorte de sabre en bambou) et les jeunes qui le rencontrent se sentent comme un jouet très léger incapable de mener la danse, alors que les déséquilibres amenés par le plus ancien sont très subtils. Au final, le combat tourne très largement à l’avantage du plus vieux car il sait beaucoup mieux guider les forces.
« Quand on est vieux, on n’a plus le choix… »
C’est ce que résumait mon enseignant japonais d’Aïkido : « quand on est jeune, pour un certain geste, on a le choix de le faire en force ou en finesse ; quand on est plus vieux, on ne le fait qu’en finesse car on ne peut plus compter sur la force ». Vous pourrez voir sur cette vidéo comment ce Japonais, certes gaillard, promène votre serviteur alors que je suis bien plus grand, plus massif et plus athlétique que lui.
D’autres exemples où la maturité l’emporte sur la jeunesse ?
Certes, Corneille fait dire à Rodrigue : « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Eh bien voici un petit florilège d’exemples où le nombre des années amène à un niveau qui suscite l’admiration :
- certains vieux danseurs de tango ont la réputation d’avoir une puissance d’évocation extraordinaire, par des attitudes et des invitations à peine visibles. Si vous comprenez l’anglais ou l’espagnol, vous pourrez plonger dans un petit groupe de danseurs et danseuses « de la vieille école » dans cette vidéo,
- si le pianiste Vladimir Horowitz était déjà très apprécié quand il était jeune, le public se doutait-il des niveaux de finesse qu’il atteindrait dans ses vieilles années ? A 84 ans, il donnait un concert à Vienne dont vous pourrez écouter un extrait ici, (qui me donne cette étrange impression d’être sur un fil et très ému alors que le pianiste ne fait aucune mimique) ou le concert complet ici.
- combien de peintres ou de compositeurs ont laissé des œuvres majeures dans leur jeunesse ? (si l’on ne considère que celles et ceux qui ont eu la chance de vivre longtemps !)
Oui, mais on décline quand même, non ? L’exemple du chant
J’aurais aimé retrouver une lecture qui m’avait impressionné sur la maturation de l’appareil vocal. En substance, dans notre jeunesse, notre appareil vocal est souple et autorise d’aller chercher certains sons de manière « fausse ». C’est un peu comme si on avait une clé pour ouvrir une porte, qui se plie volontiers et qui nous permet de la glisser dans la serrure même si on la pousse de travers. Mais… avec les années, cet appareil devient plus rigide et ne permet plus de pousser n’importe comment.
Nous voici au moment dramatique où je vous propose l’idée centrale de cet article : oui, notre organisme perd de sa souplesse et de ses possibilités ; non, ce n’est pas une mauvaise nouvelle du moment que l’on en comprend les avantages.
A mon humble avis, un avantage amusant est que nous sommes alors confrontés à une alternative :
- soit nous continuons comme avant et la fonction se dégrade, peut-être que nous n’arrivons plus à ce que nous voulons ou peut-être que la douleur viendra colorer l’action,
- soit nous apprenons à améliorer notre geste.
Vous connaissez peut-être une personne âgée pour qui un geste simple mais vital devient difficile : se lever d’un fauteuil. A un certain âge, on voit des hommes et des femmes qui se contorsionnent, s’aident de leurs bras et un jour ils réclament de l’aide, sans quoi elles sont coincées.
Il y a quelques années, une amie m’a demandé conseil pour sa mamie et je lui ai montré comment guider celle-ci. En effet, un point clé de ce geste est de ne pas pousser sur ses pieds avant que son centre de gravité ait suffisamment avancé, sinon on se repousse vers la chaise ! Vous pouvez faire l’expérience chez vous : si vous poussez trop tôt, vous repartez vers votre fauteuil. Ainsi, le praticien Feldenkrais va aider la personne à retrouver un chemin pour aller vers l’avant d’abord, puis vers le haut. Ca peut sembler évident mais la personne faisait d’une façon qui lui semblait sensée… Une fois que la personne trouve ce nouveau chemin, celui-ci devient limpide. La mamie était tellement contente de retrouver cette possibilité de se lever seule, qui plus est avec une légèreté qui la surprenait elle-même, qu’elle invitait les membres de sa famille pour leur faire une démonstration.
Pour relier avec notre propos, voici une lecture de la situation : en mettant de la force, on peut compenser le fait de pousser un peu trop tôt, on peut se contracter de manière à se lever, au prix d’un effort exagéré certes, mais on s’est levé. Quand la force diminue, cette porte se ferme et on n’a plus d’autre choix que de comprendre plus finement comment se lever sans effort ; on regagne la fonction en même temps qu’un certain plaisir, sans réclamer un système d’éjection ou une grue.
Plus d’autre choix que d’aller vers une plus grande justesse
Comme mon prof japonais d’Aïkido l’avait résumé : quand on est plus vieux, on n’a plus d’autre choix que d’augmenter la justesse et la finesse de nos actions.
Ainsi, la prochaine fois que vous avez mal ou que vous n’arrivez plus à faire quelque chose, je vous propose de le voir comme un message bienveillant de votre organisme, qui vous dit « On tolère des choses avec les débutants et débutantes, mais tu dois passer maintenant au niveau expert. » Ce n’est pas agréable d’être chassé d’un cocon matelassé de la douceur des habitudes, mais ne peut-on s’en réjouir si c’est pour découvrir une légèreté et une qualité nouvelles ?
Pour en savoir plus
Pour reconquérir ou améliorer son autonomie, par où commencer ? Une modeste suggestion serait de suivre cette série, qui a tenté d’être fidèle à un programme de formation mené par Moshé Feldenkrais en 1972. Il y a donc balayé les thèmes qui lui semblaient importants, des éclairages variés et riches. Les participants et participantes à mes cours de Nancy ont apprécié le côté dynamique et puissant de ces séances, ce qui m’encourage à vous les conseiller pour prolonger cet article.
Moshé Feldenkrais a écrit quelques livres, dont « Energie et bien-être par le mouvement ». Ce livre comprend deux parties : une première moitié où Feldenkrais donne ses idées, et une deuxième partie avec des séances à faire chez soi. Dans la partie théorique, on trouvera une très intéressante discussion sur la qualité d’un mouvement. La société actuelle a tendance à ne regarder que le résultat sans se préoccuper des gaspillages d’énergie ou de ressources, ici vous trouverez un argumentaire pour la qualité et la finesse, ainsi que l’autonomie et l’auto-éducation. Le livre se trouve ici.