Les réseaux sociaux sont des lieux d’échange, de choses précieuses comme de bêtises. Je me fais fort de trier entre ce qui est plausible et ce qui semble faux et pourtant je me suis réjoui, tout autant que mes amis qui ont fait tomber une pluie de like, sur le texte signé Jean d’Ormesson :
Clairement, ce texte résonne chez les praticiens Feldenkrais car nous invitons à naviguer en douceur à travers ce que l’on peut faire et ce que l’on doit améliorer. Dans l’article décrivant le séminaire d’Esalen, j’ai choisi une citation de Moshé Feldenkrais qui donne une idée de l’attitude que nous adoptons :
« Mais la volonté n’est nécessaire que lorsque l’aptitude est insuffisante. Apprendre […] ne consiste pas à muscler sa volonté mais consiste en l’acquisition de la faculté d’inhiber les actions parasites et l’aptitude à orienter des motivations claires, laquelle aptitude résulte de la connaissance de soi. »
Ceci cultive une forme de douceur. Mais revenons à notre texte attribué à Jean d’Ormesson car c’est amusant de tirer le fil. Pour commencer, il y a une note en bas de la page, qui dit « Texte trouvé dans l’église Saint-Paul de Baltimore, 1962, Max Ehrmann ». Hum, une recherche chez notre ami internet nous apprend toute l’histoire, en lisant — avec quelques pincettes — la fiche Wikipedia. En fait le texte est tiré d’un poème de Max Ehrmann, écrit en 1927, intitulé Desiderata. Ce texte est visiblement bien chahuté quant à son auteur, car il fait partie d’un recueil de textes choisis pour ses ouailles par le pasteur sans citer son auteur. Une note manuscrite dans son recueil parlant de « l’église du vieux Saint-Paul à Baltimore, 1692 », l’imagination des lecteurs finit par inventer que ce texte avait été trouvé dans l’église en 1692 et que son auteur était inconnu. Donc la note de bas de page sur notre photo souffre elle-même d’une « correction » d’on ne sait qui, qui a dû se dire que le 1692 ne pouvait pas être correct mais que c’était 1962. Bref, on s’amuse…
Il n’en reste pas moins que l’on connaît maintenant l’auteur, Max Ehrmann, la date de parution, 1927, et que vous pourrez trouver la version complète et originale ici. J’ai cherché une traduction de bonne qualité, ce qui n’a pas été facile car la fiche Wikipedia n’en donne que deux médiocres (désolé pour les bonnes âmes qui l’ont concoctées, mais il y a de gros contresens qui rappellent que les traducteurs.trices sont des orfèvres, telle mon estimée consœur Isabelle Audinot, avec qui c’est un régal de parler de traduction juste tout autant que de Feldenkrais). Je vous propose toutefois une belle traduction peaufinée à partir d’un article plus fouillé que celui de votre serviteur, qui prouve que ce texte a beaucoup à dire sur le fond mais aussi sur son histoire.
« Traverse tranquillement le bruit et l’agitation,
et n’oublie pas le calme que procure le silence.
Autant que faire se peut,
sans renoncer à toi-même, sois en bons termes avec tout le monde.
Énonce ta vérité clairement et calmement,
et écoute les autres,
même les simples d’esprit et les ignorants, eux aussi ont leur histoire.
Fuis les gens bruyants et agressifs, ils sont un tourment pour l’esprit.
En te comparant aux autres, tu peux devenir vaniteux ou amer,
car tu trouveras toujours plus grand ou plus petit que toi.
Que tes réussites comme tes projets soient pour toi une source de joie.
Fais ton travail avec cœur, aussi humble soit-il,
c’est une richesse réelle dans les aléas de la vie.
Sois prudent en affaires, car le monde est rempli d’escrocs.
Mais que cela ne te cache pas la vertu qui s’y trouve,
beaucoup de gens poursuivent un idéal et la vie est partout pleine d’héroïsme.
Sois toi-même, surtout ne feins pas d’avoir de l’affection.
Mais ne sois pas non plus cynique en amour ;
car face à la sécheresse et aux désenchantements, il est aussi vivace que l’herbe.
Accepte la sagesse des années en renonçant avec grâce aux choses de la jeunesse.
Cultive ta force d’âme pour être protégé en cas de malheur soudain. Mais ne te tourmente pas en imaginant des choses sombres. Beaucoup de craintes naissent de la lassitude et de la solitude.
Au-delà d’une saine discipline, sois doux avec toi-même.
Tu es un enfant de l’univers, pas moins que les arbres et les étoiles,
tu as le droit d’être ici.
Et que ce soit clair ou non pour toi, l’univers est à n’en pas douter sur la bonne voie. Alors vis en paix avec Dieu, quel qu’Il puisse être pour toi.
Et quels que soient tes tâches et tes désirs, dans le tumulte de la vie, préserve la paix dans ton âme.
Malgré tout son côté illusoire, le travail pénible et les rêves brisés, le monde est tout de même beau.
Sois d’humeur enjouée. Œuvre vers le bonheur. »
Max Ehrmann, 1927
Cette fois, c’est signé ! Et après ces délicates invitations, voici une vidéo hilarante qui montre à quel point nous « ajoutons un peu de fantaisie » quand nous transmettons un message. Bonnes respirations de rire 🙂